mardi 14 février 2017

Les droits de l'âme



Nietzsche parle du désir de reconnaissance comme d'un désir d’esclave 
quêtant l'approbation d'une autorité extérieure.

Dans nos sociétés capitalistes qui font du travail un fétiche, 
l’esclave désire être reconnu comme tel : 
un laborieux, si affairé qu’il en a perdu jusqu’au goût de l’Otium, 
ce loisir studieux auquel se consacraient les aristocrates dans l’antiquité.

Selon Nietzsche, toujours : 
« Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée est un esclave. »

Dans L’éducation sentimentale, lors de la veillée funèbre
autour du cadavre du banquier Dambreuse,
Flaubert décrit celui-ci "chérissant le pouvoir d’un tel amour
qu’il aurait payé pour se vendre".

Une telle description colle parfaitement à l’homme contemporain : 
prêt à payer – et cher – pour se vendre. 
La marchandisation généralisée réduit l'être humain
à une valeur d'échange monétaire 
qui l'oblige à se vendre pour exister.


Tel un ogre, le Capital gère ses affaires comme il digère les individus 
à travers la mécanique infernale de l’intérêt et du profit 
où chacun est transformé en comptable pointilleux et cynique
de ses intérêts égoïstes.

Le Capital obéit aux règles de l'égo, ce Je d'enfant d'autant plus mégalo 
qu’il est effrayé par son impuissance et par la mort. 
Transcender l’égo, c’est participer au Grand Jeu fondateur 
des communautés post-capitalistes.

Trump est un signe des temps qui n'aurait pas dû se prénommer Donald mais Picsou. 
Parce qu'il incarne de manière caricaturale, jusqu'à la nausée, l'esprit du capitalisme,
 il en annonce aussi prophétiquement la fin programmée.

Comme l'écrit Michel Onfray : " Trump est le nom du capitalisme nu.
 En ce sens les médias, les élites, les sondeurs, les penseurs comme il faut le haïssent 
parce qu'il montre la vérité du capitalisme cynique
pour lequel l'argent est le fin mot de l'histoire. 
Ceux qui haïssent Trump lui reprochent de montrer ce qu'est le capitalisme sans fard 
et de leur gâcher le travail pendant qu'eux avancent masqués."

La victoire obscène de Donald Trump met à nu cette société du spectacle 
qui transforme chacun en voyeur de sa propre vie. 
Le triomphe de ce que le situationniste Guy Debord nommait la "séparation", 
pourrait annoncer l'émergence d'une nouvelle forme d'humanité,
 réunifiée à un niveau supérieur 
car "Là ou croît le péril, croît aussi ce qui sauve" (Holderlin).

L'homme aliéné de la modernité se reconnaît au fait qu’il se croit libre 
alors même qu'il vit sous l'emprise d’une époque paradoxale produisant à la chaîne
 ces oxymores vivants que sont des individus grégaires.

La barbarie a deux visages : le fanatisme identitaire et le fondamentalisme marchand. 
Une partie de l’humanité est enchaînée par la tradition et l’autre déchaînée par le progrès. 
Ces deux parties se combattent l’une l’autre sans s’apercevoir 
qu’elles sont les deux faces d’une même pièce
dont nous sommes les figurants angoissés et aliénés.

A quand l’organisation systématique de programmes de "démarchandisation" 
- comme il existe des programmes de "déradicalisation" - 
pour nous libérer du fétichisme de la marchandise et de son emprise mortifère ?


Réenchanter le monde, c’est accueillir et intensifier cette présence d’esprit
dont la puissance créatrice décolonise l’imaginaire
et démarchandise les relations.

(...) 

Civilisation en péril cherche dans l'urgence des "professeurs de l'être" 
capables de nous libérer des illusions morbides de l'avoir et du paraître.
.
"Journal intégral"



2 commentaires:

  1. Hier je parlais à une personne et lui disais que nous étions dans un nouvel esclavage...

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    1. Oui...un "nouvel" esclavage, qui, en fait, est assez ancien :-),
      mais qui a tendance à s'intensifier de plus en plus...

      Sur ce sujet, Aldous Huxley fut visionnaire...
      Voici ce qu'il disait :

      « Grâce au contrôle des pensées, à la terreur constamment martelée pour maintenir l’individu dans un état de soumission voulu, nous sommes aujourd’hui entrés dans la plus parfaite des dictatures, une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, dont ils ne songeraient même pas à renverser les tyrans.
      Système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »

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